En sanctionnant Rojo et Slimani, le Sporting propage un message fort. Au-delà de la défense de ses intérêts, il en va de celle d’un idéal : un football sans vedette. Un discours ancré dans l’histoire des Lions

En un rien de temps, les Lions, qui se préparent pour leur nouvelle saison, sont passés du ronronnement à la grogne. Mardi soir, le président Bruno de Carvalho s’est posé, presque une heure durant, sur le plateau de sa Sporting TV pour évoquer les cas de deux de ses joueurs : Marcos Rojo et Islam Slimani. L’Argentin a séché l’entraînement, mardi. Le SCP (qui ne détient que 25% de ses droits) aurait refusé une offre de 20 millions d’euros deManchester United, ce qui a contrarié le défenseur.
Quant à l’international algérien, il a été prié de s’entraîner avec l’équipe B. Sans donner de détail, son patron lui reproche son comportement. “Ces deux-là, poursuit-il, en défense d’un groupe magnifique doivent être écartés et ils sont sous le coup d’une dure procédure disciplinaire“. BdC avise : “Le Sporting ne cède pas aux chantages, aux pressions, aux intérêts d’agents, de fonds, à des attitudes qui manquent de respect au club“. Un discours qui plait à de nombreux socios. Mais qui n’a rien de nouveau.

De Carvalho, le garde-fou
Bruno de Carvalho en profite pour exposer sa vision : “Il n’y a pas de joueur plus important que le club, que les socios et que le groupe de travail“. Démago ? Le modèle même des clubs portugais l’exige. La démocratie des socios suppose une politisation des paroles et des actes des dirigeants de clubs. Elu en mars 2013, BdC qui avait succédé à Godinho Lopes (qui l’avait battu lors des élections de 2011) symbolise l’espoir des Vert et Blancs. Le SCP renoue avec la C1 après cinq ans d’absence et, si les comptes sont toujours dans le rouge, sa direction, condamnée à l’austérité a, du coup, du crédit.
Pas forcément auprès des banques (en pleine crise) mais aux yeux des socios certainement. De Carvalho est jeune (42 ans), ses sorties sont souvent fracassantes et ses prises de positions tranchées. En quelques mois, ses rapports avec le FC Porto et le Benfica se sont tendus. Mais après tout, ce sont des rivaux… En juin dernier, il décrivait ainsi “la bipolarisation du foot portugais” : “Il fonctionne comme un anus avec deux fesses qui se font face, l’une disant à l’autre : ‘‘Je suis meilleur que toi !’’”. A défaut d’étonner, Bruno de Carvalho détonne. Et c’est aussi ce dont les sportinguistes avaient envie. Il incarne l’opposition au star-système adopté par ses concurrents (et ses ultimes prédécesseurs). Il exige à ses joueurs de ne pas “user de la presse“. BdC est le patron d’un club-star.

“Aucun type de vedettariat”
Le Sporting n’adjuge aucun type de vedettariat“, assure et assume Bruno de Carvalho. Les affaires Rojo et Slimani avaient été précédées par le récent et houleux transfert de Dier àTottenham. L’Anglais formé à Alcochete avait quitté Lisbonne se déclarant “maltraité par l’actuelle direction du Sporting“. “Quand il sera plus mûr, il reconnaîtra qu’il n’a pas été maltraité“, rétorque le président qui déplore l’ingérence de “son père et agent“.
Il y a un an, c’est le jeune Bruma et son conseiller qui allaient au clash. De Carvalho combat la mainmise des agents depuis un moment. Il condamne leur influence sur les joueurs via notamment les éventuelles parts qu’ils détiennent sur ceux-ci. S’il se veut le président de la rupture, BdC poursuit une tendance, devenue presque idéologique dans l’histoire des Lions. L’institution doit prédominer sur le reste. BdC se doit d’être dans le calcul. Le Sporting a pour tradition, vocation et obligation (compte-tenu des finances) d’être un fabricant de stars.

Futre, Figo, Moutinho et les autres…
L’histoire de Bruma ou Dier rappelle aux anciens celle de Paulo Futre. En 1984, le tout jeune attaquant des Leões réclame une augmentation à son président João Rocha. Son entraîneur John Toschak le convainc de ne pas plier et veut envoyer Paulo se faire “Futre” à l’Académica. Porto met la main sur l’un de ses plus gros coups. Le joueur plaidera sa “santé mentale” pour résilier son contrat avec le SCP. Dix ans plus tard, c’est Figo qui part en froid. “Pendant deux ans on m’a promis le monde (…) Je me suis lassé de cette situation et à six mois de la fin de mon contrat, j’ai décidé de faire ma vie“, expliquait-il récemment au Publico.
Conseillé par José Veiga, il signera deux contrats avec deux clubs italiens différents (dont la Juve). Un couac qui lui vaudra d’être interdit de jouer en Italie pendant deux ans. Le Barçaen profitera et n’aura à verser que les indemnités de formation au Sporting… En 2010, Moutinho est vendu au FC Porto (10 millions d’euros plus Nuno André Coelho). Les supporters lisboètes sont sous le choc. Leur capitaine renforce un rival. Le président Bettencourt tente de dédramatiser et affirme que son vestiaire s’est débarrassé d’une “pomme pourrie“. Pedro Barbosa, Jorge Cadete, Marco Caneira, Beto ou Carlos Martins ont eux aussi marqué le club. Autant par leur présence que par les circonstances de leur départ. Leur statut, leur égo n’étaient plus compatibles avec ceux du club.

Pas de rancœurs
Ces divorces n’ont pas été simples à gérer pour les joueurs, ni pour les dirigeants. Chacun ressent la désagréable sensation d’être le cocu et se renvoie la faute. Et ceux qui en pâtissent, ce sont les innocents spectateurs de ces scènes. Mais ces crises ne sont en fait, le plus souvent, que des dépressions. Figo est le favori pour prendre un jour les rênes du club, Futre a fait partie d’une liste (Dias Ferreira, en 2011) qui y prétendait, Beto a été responsable des relations externes du club sous Godinho, Pedro Barbosa est revenu comme directeur sportif entre 2006 et 2009. Même lorsque le mythique Sa Pinto, alors directeur du football du club, est obligé de démissionner après en être venu aux mains avec Liedson en janvier 2010, il est accueilli à bras ouverts en tant qu’entraîneur deux ans plus tard.
Il y a un an, le Sporting démarrait sa saison anonymement. Pas d’Europe en vue et pas de grands noms dans le vestiaire. Montero, Slimani, William Carvalho autant de héros encore en devenir. Jardim avait trouvé le bon dosage entre les jeunes et les recrues. Mais, depuis, le Mondial est passé par là. Et certains ont vu leur cote grimper. Leurs revendications avec. Leur président martèle : “Le Sporting agit de la même façon avec un joueur qui est allé au Mondial, qu’avec un joueur qui n’est pas allé au Mondial“. Pas simple de jongler avec les envies et les grilles de salaire de chacun et les éventuelles promesses. Mais peut-on être performant sans star ? Le Sporting champion de 2002 (dernier en date) se basait sur des Jardel ou des João Vieira Pinto. Et le Sporting dont rêve de Carvalho se dessinerait avec son socio fétiche : Cristiano Ronaldo. Il avait quitté Alvalade alors qu’il n’était qu’un gosse. Presque un inconnu. Et même BdC rêve du retour de l’étoile filante devenue galactique.

(artigo de Nicolas Vilas, no site Eurosport francês)